Lisa court aussi vite que possible. Soudain, son petit frère s'effondre.
- Allez Enzo ! Relève-toi ! Il faut continuer d'avancer.
Malgré son envie de ne pas s'arrêter, Lisa comprend que son frère, âge seulement de huit ans, ne peut pas courir aussi vite ou aussi longtemps qu'elle. Mais le temps passe et ils ne doivent pas traîner. Ils ont perdu beaucoup de temps et maintenant, le temps leur manque. Dire qu'il y a un mois encore elle était pénarde chez elle…
Le téléphone retentit.
- Tu vas pas décrocher ?
- Non c'est bon, y a le répondeur.
Lisa savait que la majeure partie des appels étaient pour ses parents. Alors, plutôt que de prendre un message de la part de leur travail, elle préférait laisser ses parents écouter le répondeur, comme ça elle pouvait continuer de parler avec son amie.
- Au fait, devine qui m'a appelé ce matin ?
- Thomas ?
- Non, on ne se parle plus depuis l'histoire d'avant-hier. En revanche, Jordan est toujours fixé sur moi.
- Encore lui ? Il devient vraiment collant à force.
- Ouais mais en fait il est plutôt sympa. Il m'a proposé un marché : je l'accompagne au cinéma et il m'aide pour mes devoirs de philo.
- Je te rappelle qu'il y a moins de deux semaines, tu disais qu'il n'avait aucune chance.
Son amie Camille était du genre à refuser tous les garçons qui la draguaient mais elle finissait toujours par tomber amoureuse d'eux. Elle voyait toujours le bon chez tout le monde, même les plus agaçants.
Lisa, en revanche, n'était jamais sortie avec le moindre garçon et commençait à croire que quelque chose clochait chez elle. Ce n'est pas comme si personne ne lui avait fait sa demande, mais elle les avait tous rejetés.
- Allez lève-toi et monte sur mon dos.
Lisa retire son sac à dos qu'elle garde à la main et se baisse pour que son frère puisse grimper. Elle jeta un coup d’œil à la montre de son père. 18:52. Il faut qu'ils s'éloignent au plus vite. Elle se met à courir comme si sa vie en dépend, car c'est le cas. 18:54. Ils doivent rejoindre la forêt avant dix-neuf heures, sinon ils se feront repérer. 18H55. Ils arrivent au pont et traversent prudemment. Le pont est tellement vieux que certaines planches sont tombées dans la rivière tumultueuse. 18:58. Plus que quelques pas et ils seront à l'abri sous les arbres. 18H59. Le bruit des moteurs et celui des coups de feux se font déjà entendre. Lisa sent son cœur frapper sa poitrine. 19:00. Les deux fuyards pénètrent la forêt et s'y enfoncent au plus profond. N'importe qui s'y perdrait mais leur père leur a montré le chemin tellement de fois que même Enzo le connaît par cœur. Lisa repère l'olivier, ralentit et tire la poignée camouflée dans le sol avant de s'engouffrer sous terre, en prenant soin de bien refermer la trappe. Elle laisse son frère descendre et le rejoint au bas des escaliers qu'il a déjà atteint. Malgré la proximité du danger, elle ne peut pas s'empêcher de sourire en voyant son frère sautiller partout.
Tranquillement, reprenant son souffle, elle ouvre son sac et en déballe le contenu. La chasse a été bonne aujourd'hui. Pendant qu'elle sort deux paquets de biscuits, quelques pommes et trois bouteilles d'eau, son frère sort aussi son butin de son sac. Il y a moins de choses qu'elle mais elles ont plus de valeur : un paquet de pain de mie, de la confiture de fraise, du lait et une lampe poche. Elle se dit que, même si il les avait mis en danger en mettant trop de temps à revenir de sa collecte, tout ça valait le coup. Ils auront assez de nourriture pour quelques jours. Le petit garçon va ranger ses affaires pendant que sa sœur sort les piles et l'arme à feu qu'elle a trouvé dans un bureau.
Comme tous les soirs, Enzo allume la radio. Il aime bien l'écouter mais ne comprend pas vraiment la situation. Mais Lisa est largement assez mature pour comprendre ce qu'il se passe et elle est partagée entre sa curiosité de savoir les nouvelles dans le monde et l'aversion de connaître les détails du carnage quotidien.
- … Mort. Le palais royal a été mis à sac et le roi et sa famille ont été exécuté en direct. Les grandes villes sont, pour la plupart, protégées par l'armée qui ne parvient toujours pas à empêcher les attaques à la bombe sur les regroupements de civils. Aujourd'hui, on dénombre environ huit-cent soixante-cinq mille victimes dans le monde dont cinq mille sept-cent trente-neuf en France.
Le nombre de morts continue d'augmenter jour après jour et Lisa se demande ce que font réellement les gouvernements en ce moment. A la radio, ils disent que les chefs d’État réfléchisse à la situation, qu'ils étudient comment ramener la paix, mais Lisa sait qu'ils se cachent juste dans leurs bunkers. Et bien qu'il en soit ainsi. Son frère et elle aussi ont leur refuge. Leur père leur répétait presque tous les jours qu'il fallait se préparer à toute éventualité et il avait construit ce bunker de ses mains sans en parler à qui que ce soit d'autre que sa famille.
- Il est rappelé à tous les civils des petites villes de rester enfermer chez eux et que ceux qui sont dans des villes protégées par l'armée doivent quand même éviter les rassemblements à l'extérieur.
- On se demande si ils savent vraiment ce qu'il se passe.
Leur ville ne comptait pas plus de quatre-mille habitants et la plupart d'entre eux ont été tués chez eux pendant que les autres étaient dans des lieux « sécurisés ». Mais qui pouvait s'attendre à ce qu'il s'est passé ?
Lisa regarde la pendule. 23:47. Les verres continuent de tinter et les gens de parler, crier, rigoler et chanter.
- Bon alors Camille. Quelles sont tes bonnes résolutions pour cette nouvelle année ? J'espère qu'elles comprennent le fait d'arrêter d'avoir pitié de tous les mecs qui veulent sortir avec toi.
- Et toi j'espère justement que ce sera d'avoir un mec. A dix-sept ans t'es pas trop vieille t'as encore une chance.
Toutes les deux retiennent un sourire avant de saisir en même temps chacune un coussin et de frapper l'autre avec en éclatant de rire.
- No, si tu veux savoir, sache que je vais arrêter de manger n'importe quoi et faire un régime.
- En fait je parlais des résolutions que tu allais tenir mais si on parle de celles qui ne dureront même pas une semaine, alors moi je me résolus à faire plus de sport.
- Ho regarde il est presque minuit !
Elles descendent toutes deux rejoindre leur famille et amis et Lisa ferme les yeux en pensant à l'année qui vient de passer et à celle qui va suivre quand une main lui tire la manche. Elle rouvre les yeux pour apercevoir son frère la regardant d'un air moqueur.
- Tu dors Lisa !
- Tais-toi Enzo.
Lorsque son frère lui tire la langue insolemment avant de s'enfuir, elle s'apprête à lui courir après mais se retient quand tout le monde se met à faire le décompte.
10… La télévision est allumée sur une émission pour la nouvelle année. 9… Tout le monde semble heureux et sourie. 8… Ils sont tous rassemblés sous le gui. 7… Ses parents sont déjà prêts à s'embrasser. 6... Les enfants sautent dans tous les sens. 5… Elle ne sait pas pourquoi mais son cœur s'accélère. 4… Son regard croise celui de Camille. 3… Elles ne se sont jamais regardées de cette façon. 2… Elles se rapprochent l'une de l'autre. 1. Le temps qu'elle lève les yeux pour voir le gui au-dessus d'elles et qu'elle ramène son regard vers Camille, celle-ci s'écrie en même temps que les autres.
- BONNE ANNEE !
Elle ne comprend pas ce qu'il se passe à ce moment mais le contact des lèvres de Camille qui rencontrent les siennes la réchauffe. A cet instant, elle ne pense plus à rien, elle n'entend plus les exclamations des gens autour d'elle. Les lèvres qu'elle touche sont à la fois douces et sucrées et elle ne veut surtout pas que ce moment s'arrête. Elle espère intérieurement que ce n'est pas un rêve mais lorsqu'elle ouvre les yeux, alors qu'elle s'attend à voir le regard de tout le monde braqué sur Camille et elle, elle est surprise de voir qu'ils sont tous figés, leur regard allant vers le même endroit. Elle suit ce regard et s'arrête sur la télévision. Des images défilent. Du feu, des explosions, des foules courant dans tous les sens. Elle voit des villes comme Berlin, New-York, Barcelone, Rome et Paris et en bas de l'écran, un bandeau affiche : « Attaques terroristes partout à travers le monde ».