- Hé Lisa, réveille-toi.
Alors qu'elle espérait pouvoir se reposer aujourd'hui après leur fructueuse chasse de la veille, Lisa fut interrompue dans son sommeil par une voie familière. Son frère, qui d'habitude dort comme un loir, la secoue de plus en plus fort, si bien qu'elle ne peut plus l'ignorer. Elle ouvre les yeux avec peine et découvre à quelques centimètres du sien le visage effrayé de son frère. Alors qu'elle s'apprête à lui demander ce qu'il se passe, elle entend la voix d'un animateur radio.
- Veuillez nous excuser pour cette brève interruption. Nous allons diffuser ce message en boucle dans toute la France. Si vous êtes dans la zone entre les villes de Nantes, Tours, Poitiers et La Rochelle, fuyez ! D'après des sources sûres, des missiles nucléaires sont sur le point d'être envoyés dans cette zone. La plus grosse concentration terroriste se trouverait là-bas et le Président de la République aurait ordonné l'envoie de missiles afin de neutraliser la zone et d'éliminer toute menace.
Depuis deux semaines, la France avait été prise d'assaut par des terroristes, des millions de civils étaient morts, l'armée ne semblait même pas avoir réagit, le gouvernement s'était tût et n'avait rien fait à part envoyer quelques militaires dans les plus grandes villes. Et maintenant, ils annoncent qu'ils vont lâcher des missiles en sachant qu'il y a des civils présents sur la cible. Et parmi ces civils, il y a son frère et elle.
- Qu'est-ce qu'on fait maintenant grande sœur ?
Lisa sait que quand il l'appelle comme ça c'est qu'il a vraiment peur et qu'il compte sur elle. Jusque là elle avait toujours sût plus ou moins quoi faire, mais là elle est presque aussi apeurée que lui. Elle pèse le pour et le contre entre quitter leur abri ou y rester. Le plus sûr à court terme serait de rester où ils sont. Après tout, c'est un bunker destiné à résister à une attaque nucléaire. Mais à long terme, auront-ils suffisamment de nourriture pour survivre assez longtemps pour que les radiations se dissipent ? Elle avait écouté suffisamment en cours pour savoir que Fukushima était toujours une zone considérée comme inhabitable après plusieurs années et son frère et elle n'ont des vivres que pour quelques jours. Même en se rationnant un maximum, ils ne tiendront pas plus d'une semaine. Il ne reste donc plus qu'une solution, abandonner leur refuge.
- Fais tes bagages, on s'en va. dit-elle la voix mal assurée.
La radio continue de diffuser le même message mais elle la laisse allumée au cas où une nouvelle information soit révélée. Pendant que son frère charge son sac, elle prend un rapide petit déjeuner constitué d'une tranche de pain de mie et de quelques gorgées de lait, puis elle attache ses longs cheveux bruns qu'elle aurait voulu couper aujourd'hui, tout comme ceux de son frère qui lui cachent presque les yeux.
- Est-ce que je prends ça ? demande Enzo une boussole à la main.
Lisa acquiesce mais son regard se porte sur ce que son frère tient dans l'autre main. Les larmes lui montent aux yeux pendant qu'elle contemple la seule photo de famille qu'ils avaient pu garder. Elle y voit ses parents, enlacés l'un avec l'autre et souriant en voyant leur fils faisant une grimace, pendant qu'elle-même a les yeux levés aux ciel et les bras croisés, exaspérée par son petit frère. Ce jour-là, elle aurait dû être à la plage avec Camille et d'autres amis mais ses parents avaient préféré qu'elle reste avec eux pour profiter de la venue inaccoutumée de leur tante, une femme qui critiquait toujours Lisa, ne la jugeant « pas assez féminine ».
- J'ai fini mon sac.
Elle est tirée de ses pensées par Enzo qui lui tend la photo qu'il sait précieuse aux yeux de sa sœur qui la prend et la met délicatement dans son propre sac à dos. Elle termine de le remplir avec toute la nourriture possible mais se voit obligée de laisser certaines affaires par manque de place. Après un dernier regard à leur habitat, elle tourne les talons et se dirige vers la sortie suivie de son frère.
A peine elle ouvre la trappe, elle est martelée par la pluie perçant à travers les branchages et est enveloppée par le froid hivernal. Enzo quitte lui aussi l'abri et tous deux se mettent en route.
- Il va falloir courir un peu, d'accord ?
Elle prend la main d'Enzo et ils accélèrent le pas, fonçant à travers la forêt mais arrivés à la rivière, Lisa est figée en voyant que celle-ci a emporté entièrement leur unique point de passage. Elle n'avait même pas réfléchi où est-ce qu'ils iraient mais puisqu'ils ne peuvent pas traverser, ils n'ont pas d'autre choix que de faire demi-tour. Elle s'apprête à repartir vers le forêt au moment où elle entend un bruit lointain qui lui est devenu familier ces derniers temps. Malgré le vent qui lui siffle aux oreilles, elle perçoit le tonnerre des coups de fusil et les cris des personnes touchées. Elle n'attend pas plus longtemps pour fuir en entraînant son frère avec elle et replonger dans la forêt. Ils se pressent à travers les arbres, redoutant le moment où un missile leur passerait au-dessus de la tête ou celui où ils verraient la vague d'énergie nucléaire se diriger vers eux. Ils finissent par arriver de l'autre côté de la forêt et ralentissent pour vérifier si il y a quelqu'un aux alentours. Un haut-le-cœur la prend lorsqu'elle voit les corps de dizaines d'enfants éparpillés sur le sol. Elle veut épargner cette vision à son cadet mais il se précipite vers les cadavres avant qu'elle n'ait pu réagir.
- Maîtresse ! s'écrit-il.
- Non Enzo revient !
Elle le poursuit en se rappelant que le jour de la rentrée des vacances de noël, un pique-nique avait été prévu pour la classe d'Enzo mais son père avait préféré qu'il n'y aille pas à cause des événement qui s'étaient déroulés depuis le premier de l'an. Beaucoup avaient dit que ça ne frappait que les grandes villes et que leur petite ville de campagne ne serait pas touchée, mais ce jour-là avait été le plus meurtrier depuis la première vague d'attentats. De nombreuses écoles avaient été attaquées et tous les enfants avaient été fusillés.
- C'est un événement bien choquant qui a été diffusé en direct aujourd'hui à travers le monde entier. L'école élémentaire Louis Pasteur à Limeil Brévannes a été prise d'assaut par un groupe terroriste ce matin. Ce n'est pas seulement l'attaque qui a été retransmise mais également l'exécution de ses 365 élèves ainsi que de leurs professeurs. L’État d'urgence est à son niveau le plus élevé et il est conseillé à tous de rester chez soi. Le président s'est prononcé depuis le Palais de l'Elysée…
Le père de Lisa coupa la télévision et regarda sa famille très sérieusement.
- On s'en va. Le bureau m'a appelé, ils ont besoin de moi et je les ai convaincu de les laisser vous loger.
Lisa se précipita dans sa chambre pour préparer ses affaires. Elle prit son téléphone et saisit le numéro de Camille, il fallait absolument qu'elle l'appelle.
- Ho Lisa, j'allais t'appeler. T'as vu les infos ?
- Oui, c'est horrible. Je comprends pas comment ils peuvent faire ça.
- Ton frère va bien ?
- Oui, mon père nous avait interdit d'aller en cours. Je pense qu'il avait pressenti ce qui allait se passer. Et toi, ça va ?
- Je suis pas allée en cours non plus. On quitte la ville. Ma grand-mère a une maison de campagne plutôt isolée dans le Sud, on va l'y rejoindre.
- Mon père a été appelé par le travail, on va loger dans son régiment.
- Tu veux pas venir avec moi ? On a de la place. Je ne sais pas si tu seras plus en sécurité mais on sera ensemble au moins.
- Je voudrais bien mais tu connais ma mère, elle voudra pas. Elle pense que c'est la fin du monde et elle veut qu'on vive nos derniers instants en famille. Elle fait flipper.
- Elle a quand même un peu raison. Je pense qu'on vient d'entrer dans une nouvelle ère.
La voix du père de Lisa résonna dans la maison.
- Lisa, dépêche-toi ! Ne prend que le nécessaire.
Tenant le téléphone d'une main, elle fît ses bagages de l'autre main.
- Tu me promets qu'on se téléphonera souvent ? demanda-t-elle à Camille.
- Oui je te le jure. Et dès que ça se sera calmé, on pourra se rejoindre.
- Si ça se calme…
- Ca se calmera ! Ton père est un grand militaire plein d'expérience, il va trouver une solution avec ses collègues et ils régleront tout ça en un rien de temps.
- Je l'espère.
- Il faut que je te laisse, on se rappelle plus tard, ok ?
- Oui, il faut que j'y aille moi aussi.
- Allez bonne chance.
- Camille !
- Oui ?
- Je t'aime.
Le dire à voix haute lui paraissait étrange mais essentiel vu les circonstances.
- Moi aussi je t'aime.
Lisa boucla sa valise, les paroles de Camille résonnant dans sa tête. Elle se demandait quand est-ce qu'elles se reverraient.
- Enzo, ne regarde pas !
Elle prend son frère dans ses bras et s'éloigne le plus possible du bain de sang. Elle ne sait toujours pas où aller exactement mais elle sait dans quelle direction maintenant.
- On va où ? On n'a plus de maison maintenant.
- On va vers le Sud.