Des mots qui tuent

Pendant que je cherchais la phrase philosophale - un sésame ultime, tranché à même la langue de Dieu - qui permettrait d'anéantir dans une seule expiration, - il s'est déposé entre mes mains une autre pierre, plus sombre, précieuse, et où dans des fumées j'ai cru voir une plaie sourire.

J'avais dû la ranger dans un des nombreux plis de mon manteau de charlatan, et j'allais oubliant à travers les villes, étourdi dans mon élan par une pourriture, n'ouvrant de moins en moins mon pan que pour y trouver une herbe ou deux à faire tinter l'eau d'un thé pour des jeunes filles malades.

Or donc la pierre n'attendait pas, et exerçait sur moi des larmes d'imbécile. Mes yeux bouffis m'avaient privé de clientèle, et je me suis retrouvé à lécher bientôt les cailloux du chemin, pour le sel. Un simple mot mettait en fuite des villages entiers. Mon haleine a dépeuplé plus de campagnes que la peste et les Anglais.

Une fois bien débarassé, couché dans les cendres chaudes et prêt à dormir, j'ai été pris par de fausses évidences. Mon feu les tenait en respect, mais pas jusqu'à la fin des nuits. Elles sont si répandues sur la face de la terre qu'il n'y a jamais assez d'entailles où fourrer leur museau. Je me suis battu, je crois, mais j'ai dû finir par rendre. Les tripes en l'air, je me suis relevé après, et j'ai continué sur la route en trainant des lambeaux où pendaient encore quelques poches, et j'ai pu renouer mes chairs et brûler quelques peaux ensembles.

C'est dans ce bricolage de la dernière chance que j'ai retrouvé le joyau de mauvaise augure. Il a roulé un moment, et comme il s'éloignait j'aperçus déjà au loin une ou deux filles de ferme qui venaient pour me ramasser. D'une torsion de hanche, j'ai arraché mon bras vers le bas du caniveau, et mes doigts sans ongles se sont lacés autour du galet triste. Elles ont stoppé tout net.