White Wolf
Posté le 25 Septembre 2015 par White Wolf
Chapitre 3 :

C’était la première fois que je pouvais enfin me poser pour l’analyser. Le dos appuyé au mur, le regard allant de haut en bas, j’examinais ce petit nouveau, et quelle image donnait-t-il aux autres.

Il était plus ou moins isolé des autres. Pas physiquement isolé à vrais dire, car il se trouvait dans une partie de la cour où il y avait en vérité pas mal de monde. Plutôt…mentalement isolé, comme si il se moquait éperdument de qui était où et la distance avec laquelle il était avec certains. Il pourrait se trouver devant deux personnes qui discutaient, on avait l’impression qu’il ne bougerait pas d’un pouce. Mais ce n’était pas là où il se trouvait, non. Il était assis entre les deux grandes racines d’un arbre, jambes en tailleur, qui soutenaient dans leur creux la vague forme d’un livre, ou alors un carnet. Il avait la tête penchée au-dessus, les yeux rivés sur les pages. Un lecteur ? Nous avons un nouvel « intellectuel » dans le lycée, comme le diraient certaines personnes ? En tout cas, son code vestimentaire ne correspondait pas vraiment avec ce que la société pourrait penser de lui. Un t-shirt banal, blanc, sans aucun motif apparent et qui semblait même être un tout petit peu plus grand que lui. Son pantalon, un simple jean, était assez écorché, voir troué à certaines positions sur les jambes. Ce ne semblaient pas être des trous fait volontairement pour se donner un genre, non. Le tissu semblait assez usé. Il portait également des sandales simples, marron, ce qui était logique, vu le beau temps qu’il y avait encore.

Je trouvais son style…particulier. Non pas car il correspondait à un genre vestimentaire qu’on ne voyait pas souvent, mais car il semblait n’en avoir rien à faire. C’était ça, l’image qu’il donnait de lui : « ce sont juste des vêtements. Rien de ce que je porte ne montre une once de ce que je suis ». Toute personne, aussi marginale ou intéressé par la mode soit-t-elle, aime s’habiller de manière à plaire à soi-même et un petit peu aux autres. Toujours prendre un minimum soin de soi. Si on ne s’habille pas avec un sac poubelle, tous autant que nous sommes, c’est car nous craignons le jugement de l’autre. Lui…Il semblait se moquer éperdument de si il ressemblait à quelque chose ou non. Les secondes passaient et j’étais de plus en plus intrigué par ce gars. Pas d’une mauvaise manière, non, c’était juste de la curiosité. Quel genre de personne il était ? Quel caractère se cachait derrière cet emballage naturel bien négligé ? J’aimais les originaux. Molly était originale, Terrence était original, Paul était original, et chacun à leur manière. Le nouveau devait l’être également, un bel original dont je pourrais me délecter du comportement social nouveau et rafraîchissant.

Pour une fois, j’hésitais à prendre contact. D’habitude, les nouveaux montrent par leur manière d’être qu’ils cherchent le contact. Ils ne se mettent pas trop loin des autres, prennent un air perdu ou ennuyé et désirent l’arrivé de quelqu’un d’avenant et sympathique pour le présenter à d’autres (et c’est à ce moment-là que je rentre en scène). Mais pour le moment, aucun signe dans son comportement.

Mais je commençais à peser les pour et les contres…et je décidais tout de même d‘aller le voir. Il fallait que j’échange au moins un ou deux mots avec lu. Au mieux, tout se passera bien et il pourra sûrement s’insérer parmi nous. Au pire quoi ? J’allais me rendre compte que je ne l’apprécie pas, je me prendrais un vent, on ne s’entendra pas et je l’oublierais vite. Si ça arrivait, on prendra simple-ment nos propres chemins, chacun de notre côté, sans se reparler. Rien de bien dramatique.

Je le voyais lever l’espace d’un instant ses yeux de son livre et y vit une occasion pour moi pour agir. Je jetais un œil à mes amis, qui discutaient plus loin sur un banc. Paul me remarqua, comprit que j’allais entrer en scène et me lança un sourire tout en faisant un signe de la main que l’on pouvait interpréter par : « allez, tout nous le ramène ? ». Je lui répondais par un hochement de tête, puis retourna à mon mouton.

Je m’approchais avec tranquillité vers le nouveau, me trouvant rapidement derrière lui. Je m’adossais contre l’arbre et me laissais doucement glisser jusqu’à plier mes genoux sur eux-mêmes.

-Amoureux des arbres ? Dis-je

Je vis presque les oreilles du garçon bouger au son de ma voix, tel un animal qui a entendu une brindille craquer à proximité de lui. Sans se tourner vers moi, il se contenta d’hausser les épaules avant de me répondre :

-Il y a de l’ombre dessous. C’est calme aussi.

-Pas faux. Personne ne peut supporter la chaleur en ce moment. Je tuerais pour pouvoir avoir des bassines d’eau glacé à me jeter au visage de temps en temps.

Silence. Pas de réactions. Peut-être fallait-t-il que j’entre dans sa zone de confort, que je m’intéresse plus à lui et ce qu’il faisait. Je jetais un œil à ce qu’il tenait entre ses mains.

-Que lis-tu ?

-Tu ne connaîtras pas.

-Raison de plus pour le savoir.

-…Un journal écrit pas mon grand-père.

Je me tournais vers lui, arborant un comportement ouvert et curieux, non seulement ca ça mettait en général à l’aise, mais aussi car j’étais réellement curieux, tout simplement. Ça mettait à l’aise, mais de toute façon il ne me regardait même pas et j’avais l’impression de me rendre ridicule.

-C’est un auteur ?

-Non. C’est juste une tradition chez nous : on écrit nous journaux et on les passe à nos descendants après notre mort.

-Des mémoires, donc ? C’est cool ça. Vous faites ça pour une raison particulière ?

-Je sais pas.

-Aucune idée ?

-…

Il me déstabilisait un peu. Aucune véritable attention…Aucun intérêt trahis dans sa manière d’être à ma présence ou notre discussion. Il ne semblait pas du tout concerné par cette interaction. C’était particulier. Je me retrouvais soudainement dans une situation où je ne savais pas quoi dire. J’avais déjà tenté deux ouvertures pour une conversation et le nouveau n’a aucunement interagit avec volonté. Fallait-t-il que j’abandonne ? Je n’avais pas vraiment envie de laisser tomber aussi rapidement, mais en même temps, si il ne faisait pas l’effort de communiquer avec moi, à quoi bon ? Ce serait comme parler à un mur.

Je me rendais compte que je ne connaissais pas son nom. Peut-être était-ce l’occasion pour moi de faire un dernier essai.

-Je m’appelle Lucas.

-…Erwin

Je lui avais donné mon nom sans subtilité particulière. Sans parole pleine de répartie, ou avec un mince trait d’humour, ne croyant même pas qu’il allait y répondre à la base. Mais finalement, cela avait mené à un peu plus que rien.

-Je n’ai jamais entendu ce nom auparavant, continuais-je dans l’espoir de mener enfin une vraie conversation.

Mais bien évidemment, il ne répondit rien.

-…

-…C’est un joli nom en tout cas.

-Merci

A peine avait-t-il réagit à mon commentaire que la sonnerie retentit dans la cour. Presque immédia-tement, il se leva et commença à marcher plus loin, vers le bâtiment. Je le regardais s’enfuir au loin, et poussai un soupire. Il ne semblait pas être quelqu’un de méchant, ni même idiot. J’étais un peu déçu de constater qu’il ne semblait pas désirer un peu de compagnie. Je me levais, m’approchais, de la sortie également, avant que Paul ne mette sa main sur mon épaule.

-Alors ?

-Alors rien. C’est un solitaire on dirait.

-Bah, tant pis. Ça arrive. Mais il avait l’air sympa vu d’ici. Dommage.

-Oui...Bon, il faudrait rentrer en classe maintenant.

Nous rentrâmes chacun à l’intérieur du lycée. A peine le premier cours débutait que je souhaitais que les trois heures qu’il me restait s’écouleraient en trois secondes…
Commentaires