Chapitre 6 :
Depuis que j’ai sympathisé avec ce drôle d’oiseau qu’était Erwin, nous partagions nos retours en bus. Les dix premières minutes se passaient en la compagnie de Molly et je le voyais souvent reclus dans un coin du bus, me jetant quelque furtifs regards afin de voir s’il avait l’occasion de me rejoindre. Une fois que Molly descendait, Erwin arrivait doucement, presque discrètement vers moi et l’on partageait le reste du trajet ensemble. La plupart du temps, nous étions silencieux et l’on écoutait diverses musiques. Cela nous arrivais d’échanger quelque mots, mais le plus souvent nous fermions les yeux et tentions de plonger dans les morceaux Il était naturellement peu bavard et je m’étais habitué à son caractère, mais cela ne me dérangeais pas du tout. Et je savais qu’il appréciait ma présence de toute manière. Il m’a appris que la parole n’était pas nécessaire pour s’exprimer. Je pouvais le comprendre en le regardant, en voyant ses mimiques et expressions faciales, corporelles…Ils étaient subtils, parfois trompeurs, mais après un certain bout de temps à le fréquenter, on retenait pleins de choses.
-C’est…C’est plutôt doux…
Je passais une version de la chanson « Amazing Grace. » Je lui faisais écouter également du jazz en ce moment et je me suis permit un petit détour. Jimmy Hendryx, Miles Davis, Meavy Stepple…Il ne semblait pas être désintéressé par ce genre de musiques. Mais plus je lui faisais écouter de mor-ceaux, plus je me rendais compte qu’il n’avait aucune culture musicale. Aucune ! C’était un disque vide de connaissance dans le domaine, et je me demandais si cela provenait plus de son éducation que par désintérêt, car il aimait beaucoup les musiques que je lui passais, après tout.
-Tu aimes bien ?
-Oui, c’est apaisant.
-Tu n’écoutes jamais de musique chez toi ?
-Non, je n’ai pas de lecteurs de musique. Je voulais apprendre un instrument quand j’avais six ans, mais mon père ne voulait pas.
-Il n’aimait pas le bruit ?
-Je ne sais pas. Il disait que c’était inutile.
-Comment ça s’est inutile ? Demandais-je en fronçant les sourcils. La musique n’est pas inutile. La créativité, l’expression, c’est inutile ? Et l’harmonie et la beauté et l’art ? C’est important, il n’y a rien de plus important que s’exprimer par la musique ou d’autre formes.
Je me rendais soudainement compte que je critiquais l’avis de son père sans aucun respect pour lui et que peut-être allait-il le prendre mal. Mais il se contenta de hausser les épaules. Il a dû remarquer ma mine un peu gênée.
-De toute façon, mon père n’est plus là, me répondit-il.
-Il est…
-Vivant. Juste ailleurs.
-Tu ne m’as jamais parlé de ta famille.
Je constatais cela et l’exprimait avec une pointe d’intérêt. Je lui avais déjà parlé de ma propre famille et j’espérais pouvoir apprendre plus sur lui et ses origines. Il resta silencieux un instant sur le sujet, avant de reprendre la parole :
-Mon père était un voyageur, un ermite si tu préfères. Je sais qu’il est d’origine écossaise. Il a visité toute l’Europe, puis s’est arrêté en France quand il a rencontré ma mère. Il avait 20 ans et elle 17 et ils ont fugués ensemble car la famille de ma mère n’aimait pas son gendre. Elle a accouchée plus tard de ma sœur et de mes trois frères et mourut lorsqu’elle accoucha de moi car elle n’a jamais donné naissance à l’hôpital, pour aucun d’entre nous, elle n’avait donc pas le soutiens d’un…équipement approprié. Elle le faisait tout le temps chez elle. Mon père a dû alors s’occuper de nous quatre pendant une dizaine d’année, puis la famille de ma mère a retrouvé notre trace et ont réussis à nous retirer légalement de sa garde. Alawa, ma sœur, a été élevée chez mes grands-parents, Amarok, le second, chez mon oncle, Romulus et Fenris chez une cousine et moi chez ma tante. Voilà. Je crois que c’est tout.
Je restais presque bouche bée devant ce que je venais d’entendre. Sa vie auparavant semblait avoir été dure…Ne pas connaître sa mère, être séparé de son père, ses frères, ses sœurs…Je commençais à développer une théorie sur son père, qui devait avoir eu du mal à s’occuper de lui et 4 autres enfants. Ils ont certainement dû apprendre à travailler tôt pour survivre, ce qui expliquerait aussi pourquoi il n’aurait pas autorisé à Erwin des cours de musique, par manque d’argent, de temps et « d’utilité ». Peut-être même que sa solitude venait de cette théorie et qu’il n’avait pas fréquenté auparavant le monde de l’école et la scolarité.
-Tu…tu as l’occasion de voir ta famille ?
-Oui, tous les ans. On se réunit tous ensemble le 1er août pour fêter l’anniversaire de ma mère. J’aime bien ce jour-là.
-Je comprends. Ta tante s’occupe bien de toi au fait ?
-Elle est rarement là. Elle est médecin et passe son temps à l’hôpital pour travailler, du coup je suis souvent seul. Mais ça ne me dérange pas vraiment.
Voilà qui était assez amusant comme point en commun entre nous. Sa tante médecin, ma mère vétérinaire, toute deux trop occupées par leur métiers respectifs, nous, seuls très souvent à la maison, nos parents absents…Bon, il y a des coïncidences plus joyeuses à entendre, mais cela restait intéressant à remarquer.
-Je suis désolé pour toi, lui dis-je. Pour ne pas avoir eu une enfance facile, je veux dire.
C’était vrai. J’étais sincère en disant ça. Erwin avait beau être silencieux et ne montrer que peu de choses sur lui, je savais que c’était une bonne personne, douce et gentille. Seulement un peu déconnecté de la réalité. Je ne dirais même pas ça en vérité : seulement déconnecté d’une manière particulière et précise…
-Tu n’as rien fais.
Il m’offrit un sourire. C’était l’un de ses petits sourires sincères, véritables, qui n’était pas forcé, copié, exagéré, réfléchis, mais spontané et innocent, provenant de son comportement très franc et naturel.
Nous replongeâmes dans de nouveaux morceaux de musique durant dix petites minutes. Il faisait plutôt beau, pour une fois. Le soleil rayonnait à travers les résidus des nuages gris de ce matin, flot-tant encore dans le ciel. Cela faisait déjà un bon moment que le bus roulait entre la côte et l’orée de la forêt. Il s’arrêta devant un arrêt isolé de l’île que personne ne semblait prendre, excepté Erwin. Je supposais que les autres particuliers vivants dans les environs utilisaient leurs propres voitures pour rentrer chez eux.
Mon ami se leva et prit son sac. Je reculais un peu pour le laisser passer, ses jambes frôlant les miennes du au maigre espace entre le siège devant moi et celui où j’étais assis.
-Bon. A demain, lui lançais-je.
J’étais presque déçu qu’il ne pleuve pas aujourd’hui. A chaque fois qu’il pleuvait trop, c’était une occasion pour l’héberger et avoir un peu de compagnie. On passait un peu de temps ensemble jusqu’à ce que le soleil revenait. Depuis la première fois où il était rentré chez moi, je passais la plu-part de mon temps à penser à lui, à vouloir sa compagnie douce et tranquille. Il fallait dire que son originalité me fascinait. Il m’intriguait, titillait ma curiosité et plus le temps passais, plus je voulais le voir et mieux le comprendre. Il était mon petit mystère à moi que je voulais découvrir jusqu’au bout, jusqu’au dernier recoin…
-Alors ?
Je revenais à la réalité.
-Hein ? Pardon ?
-Je te proposais de te présenter ma maison, mais tu ne m’as pas répondu.
-Oh, désolé, heu…je suppose, oui ?
Après tout, il avait bien le droit de m’inviter après toute les fois où j’ai fait cela. C’était un vendredi de plus. Il n’y avait pas de cours le lendemain, rien ne m’attendais chez moi, par conséquent le mo-ment était plutôt bien choisit.
Il me fit un signe de la tête.
-Alors ? Viens-tu ?
Je me levais et commençais à le suivre en dehors du bus. Une fois sortit, la porte du bus se ferma derrière moi et j’entendais le moteur démarrer, puis le bruit des roues s’éloigner petit à petit. Je me retrouvais seul avec Erwin, le bruit des vagues derrière moi, ainsi que celui du vent côtier qui passait sous mon manteau et sifflait dans les feuilles des arbres.
Le suivant comme son ombre, nous commençâmes à marcher.