Chapitre 7 :
Nous marchâmes sur un kilomètre, d’abord le long des côtes, puis en prenant un chemin plus loin qui semblait couper la forêt en deux. Je n’ai eu que peu d’occasions de visiter une « vraie » forêt dense. L’île possédait beaucoup de recoins naturels et sauvages. Les villes et les villages vivaient en harmonie avec la végétation et même la capitale était assez fleurie. Mais cette fois-ci, ce n’était pas une nature contrôlée et droite, si partielle, mais profonde, sauvage, complète. J’appréciais cet environnement, c’était assez apaisant. Il avait de la chance de pouvoir vivre au milieu d’un tel sanctuaire.
-Allez, on y est bientôt.
Il me jeta un sourire à la limite du radieux, ce qui me surprenais. Je ne le voyais jamais heureux. Il n’était pas non plus malheureux, du moins il ne semblait pas particulièrement triste dans son quoti-dien, mais trahissais que très peu ses émotions. Ça m’arrivait de le sentir serein, notamment quand on écoutait de la musique. Personne n’aurait pu voir de changement mais moi je le ressentais, aussi perturbant que cela pouvait paraitre. Mais le voir aussi expressif dans sa manière d’être, ça, c’était habituel.
Je voyais le bout d’une bâtisse au loin, au sommet d’un sentier remontant une légère pente. Entre nous et la maison, une large rivière se tenait. J’ai pu enfin me retrouver face à ce fameux pont qui était immergé lors des grandes averses tropicales : un pont en bois blanc, la peinture très usé. Ce n’était pas en effet un pont courbé, mais plat ! Entièrement droit et fin, ne laissant que juste assez de largeur pour laisser passer une seule personne à la fois. Le rebord était particulièrement grand, allant jusqu’au épaules. Je jetais un œil en bas et vit qu’effectivement, les lattes n’étaient pas si éloignés que ça de l’eau, environs un bras de distance. Je pouvais concevoir le fait que ce pont soit submergé à la montée des eaux, lors des pluies torrentielles. Erwin exagérait un peu en disant que la solution, lorsque ça arrivait, est de nager alors que le niveau de l’eau devrais au pire monter jusqu’à la taille. Enfin bon, autant partir du principe qu’il n’aimait pas mouiller ses affaires.
-Nous y sommes.
La maison était différente de ce que je croyais. Je croyais à quelque chose dans un style très ancien, voir un petit peu « rustique ». Pourtant, elle avait un aspect moderne. L’une de ces grandes maisons aux murs blancs et lisses, avec des dalles en marbre noir faisant le contour du bâtiment. Une maison avec un étage également, visible par un balcon en bois sur le toit. Erwin s’approcha de la porte qu’il ouvrit en sortant puis mettant une clé dans la serrure.
Je me retrouvais dans une salle à manger où tables, chaises, couverts, étaient bien disposés et à sa place. A la droite se trouvait deux plans de travails : le premier longeant le mur où étaient insérés réfrigérateur, lave-vaisselle, congélateur, évier, poubelle et le reste. Le second était plus près du centre de la pièce, faisant un couloir entre les deux plans de travail. C’était la cuisine en somme. Devant moi se trouvait une grande ouverture dans le mur, menant probablement dans un salon. M’approcher confirma ma théorie. Ce salon était particulièrement grand et malgré un léger manque de chaleur due aux couleurs monochromes de la pièce, cela devait être un agréable lieu où lire le soir. Il y avait même, dans un coin du salon, parmi les sièges et fauteuils de cuir, une authentique cheminée de pierre qui coupait ces murs neuf et modernes en deux. La lumière passait par une grande baie vitrée offrant une vue sur une piscine.
-Tu as une piscine rien que pour toi, sale bête ?
C’était bien sûr de la taquinerie, mais il me regarda avec les sourcils froncés. Je lui répondais rapide-ment avant qu’il ne se fasse des idées :
-Je ne dis pas ça avec sérieux, hein. Si tu me regardes avec mes amis, tu verras qu’on se lance tou-jours des piques. Juste pour rire.
-Oh je vois…Comme quand hier quelqu’un m’a bousculé en me traitant de «sale con » ?
-heu…non, c’était juste de la méchanceté de sa part.
-Et si je te traite de sale con, tu rigoleras ?
-…pas vraiment. Il faut juste trouver le bon moment pour le faire.
Il haussa les épaules et croisa les bras.
-De toute façon, c’est idiot cette histoire d’insulte.
Un sourire se forma sur le coin de ma lèvre lorsque je remarquais un air presque vexé sur son visage. Il pouvait être adorable parfois. Mais il vit ma réaction et repris la parole avec un ton râleur :
-Mais ça tu aimes bien? Je ne comprends rien du tout. Et puis ce n’est pas affectueux d’insulter les autres, c’est juste étrange. C’est comme si faire du mal à quelqu’un lui faisait du bien.
-C’est plus compliqué que ça. Mais je retiendrais le fait que tu n’aimes pas ça. Je n’aurais qu’à te complimenter toute la journée pour mieux gonfler ton égo.
Je lui souriais à nouveau avec amusement alors qu’il restait silencieux, me toisant un peu. Mais il sembla se calmer en voyant que je parlais toujours sans beaucoup de sérieux. Il laissa même s’échapper un son tour à minuscule sourire.
Le jeune homme me fit un signe de la tête en direction d’un escalier, avant qu’il ne commence à monter. Je me contentais donc de le suivre. Quelque marche plus tard, je me retrouvais au premier étage du bâtiment, tout d’abord formé d’un couloir et de quatre portes. Erwin s’avança vers la pre-mière porte à droite. Une fois rentré, je comprenais rapidement qu’il s’agissait de sa chambre. Ce qui me frappa le plus dans cette salle était à quel point elle était vide. Les murs étaient gris-bleu et assez terne. Tous les meubles étaient collés dans les coins, laissant un grand espace au milieu de la pièce. Le lit était installé au fond. Il avait été fait avec un soin démentiel : pas un minuscule pli sur les draps. A côté, sur un bout de mur entre le pied du lit et la baie vitré, un bureau où cahiers, livres, les moindres affaires, le moindre stylo et le moindre trombone en boîte était rangé de manière symétrique et irréprochable. Je commençais à me demander s’il n’était pas maniaque sur les bords. Mais si c’était le cas, ce ne serait pas associable à son mode vestimentaire…Je crois… Autrement, il s’agissait des deux seuls meubles à gauche de sa chambre. A droite cela-dis, se trouvait une com-mode assez discrète et banale, ainsi qu’un placard bien dissimulé dans le mur.
C’est avec surprise que je constatais un dernier élément dans la salle : un perchoir. Et pas qu’un perchoir d’ailleurs : dessus se trouvait un imposant oiseau noir. Un corbeau ?
-Voici Aaron, me dit Erwin avec un ton enjoué.
L’animal, à l’entente de son nom, se mit à croisser, comme partageant l’humeur de son maître. Il se pencha en avant et déploya ses ailes pour commencer à voler sur un petit mètre. Il atterrit sur l’épaule d’Erwin, qui passa délicatement sa main gauche sur son plumage. Les yeux de l’animal se fixèrent sur moi et il redressa la tête comme pour m’analyser, la pivotant régulièrement d’une ma-nière qui me donnait l’impression d’être analysé de la tête aux pieds.
-Tu as…un corbeau domestique ? C’est…c’est plutôt génial !
Je devais l’avouer, c’était assez cool. Les seuls oiseaux domestiques qu’on voyait en général, c’étaient des petits oiseaux jaunes ou vert minuscules qui piaillaient jours et soirs dans des petites cages blanches. Un corbeau, en plus d’être plus beau et intéressant, devait être bien plus interactif.
-Il n’a pas de cages ? Lui demandais-je. Tu n’as pas peur qu’il se fasse la malle ?
Il me jeta un regard interrogateur et je me permettais de reformuler :
-Qu’il s’enfuie.
-Non. Il est libre de partir quand il le veut. Il revient toujours.
L’oiseau poussa un cri et, comme pour confirmer les paroles de mon ami, descendit de son épaule et sautilla vers la porte-fenêtre à moitié ouverte. Je commençais à m’approcher également et me posais sur le balcon, m’adossant sur la rambarde pour admirer un peu la vue. La forêt autour de nous ne me permettait pas de voir très loin. Autrement, en dessous de moi était étendue la piscine.
-Pas mal. Tu peux piquer des têtes depuis ton balcon.
Il se posa à côté de moi et suivit mon regard :
-Mauvaise idée.
-Pourquoi ?
-Car si tu sautes d’ici, tu vas plonger dans la partie où on a pied. Mais si tu veux te briser quelque chose, c’est alors une bonne idée.
A ma gauche, Aaron grimpa sur la rambarde et déploya ses ailes. Il profita d’une légère brise pour sauter et se laisser guider par le vent. Mon ami et moi regardions le corbeau s’envoler au loin, vers la forêt dense et mystérieuse.
-Tu as de la chance de vivre ici…C’est paisible.
Erwin hocha la tête en guise d’approbation. Nous profitâmes tous les deux de la vue en silence pendant deux bonnes minutes.
-Ta compagnie m’est précieuse. Je sais que je suis dur à vivre.
Je me tournais vers lui, légèrement surpris par ce qu’il venait de me dire. Il continuait de regarder l’horizon, mais j’apercevais un minuscule sourire sur le coin de sa lèvre. De sa part, c’était une belle preuve de bonheur. Les gens de comprenais pas souvent à quel point les expressions les plus légères peuvent trahir les émotions les plus forte et présente chez un homme. Sans compter le fait qu’il venait de dire que je comptais pour lui, ce qui était touchant.
-Toi aussi tu m’es précieux. Autrement, je ne serais pas venu.
Je posais ma main sur son épaule, comme voulant appuyer la présence qu’il venait d’avouer agréable. Il jeta un regard à mon bras, sans me regarder directement, comme à son habitude. Je la retirais rapidement, me sentant un peu gêné. Mon gest l’a peut-être rendu mal à l’aise, vu qu’il a touché à son intégrité et que j’étais pertinemment conscient qu’il n’aimait pas cela. Mais il se con-tenta de hocher la tête, comme pour me rassurer.
Je comprenais pourquoi il avait dit ça, car je suppose que rare sont les personnes qui savent profiter de l’autre dans le silence. Être content d’être avec un ami par sa simple présence, peu importe si il sort tout un discourt pendant dix minutes ou une seule phrase toute les dix minutes. J’appréciais cela. Ce calme…Cette acceptation.
Je crois que nous avons passé une demi-heure entière immobile à regarder la forêt.