14 Septembre 2014
Jour J
J’avais tout préparé.
A 14 heures, j’allais chez Raphaël. Lucien, comme d’habitude, était de la partie. Nous devions nous enregistrer pour un petit concours. C’était ce qui allait servir de raisons pour que je le voie aujourd’hui. Nous allions passer une bonne journée, et au moment où on doit se quitter, j’irais le voir pour lui demander un instant, et j’allais tout lui avouer.
Je me suis préparé pendant une bonne semaine. Pendant 7 jours, je me suis préparé à ce qui m’attendait. J’analysais ce qui allait se passer, je me préparais tout un discours à lui sortir. Un discours pour lui dire que je l’aimais. Quelque chose de franc, mais qui n’allait pas le faire paniquer. Je voulais lui avouer, certes, mais qu’il reste détendus. Je voulais lui dire qu’il était plus qu’un ami pour moi, mais pas le brusquer, ni le mettre dans une position où je demanderais trop de sa part. Tout devait être équilibré, prévu. Tout devait être PARFAIT. Mon amitié, ma relation future était en jeu et je ne pouvais pas prendre ça à la légère.
Je répétais dans ma chambre, comme si je répétais tel un comédien pour une pièce de théâtre. J’avais appris mon texte, apporté une gestuelle à mes paroles, même mis en scène tout ce qui allait se passer. J’ai analysé chaque moment qui allait se passer, chaque facteur important de cet instant de ma vie, afin que tout soit en harmonie complète.
Lorsque le Jour J était arrivé, je répétais tout mon texte en boucle dans le métro. Je fermais les yeux et visualisais toute la scène à l’avance.
En marchant vers sa maison, je m’armais de courage, de force, me disais que tout allait bien se passer, que j’avais la situation en main.
Lorsque j’étais devant la sonnette, lorsque je sonnai à sa porte, Je faisais mes dernières révisions avant que je n’entre en scène, avant que la journée ne commence, car une fois que j’allais rentrer, je ne pourrais plus penser à rien d’autre.
-Salut, Thelo. Ça va ?
-Salut salut. Ça va et toi ?
-Ben tout va bien. J’ai mon ami pirate à côté de moi, me reste plus qu’à attendre l’autre et ce sera bon.
Raphaël et Lucien avaient tendance à se moquer de ma barbe, soi-disant car j’avais l’air d’un pirate avec ça. Ils m’avaient même un jour acheté un chapeau de pirate et un bandeau pour me taquiner. Heureusement que je pouvais leur reprocher également d’autre choses pour eux, Comme ça je pouvais participer à une guérilla régulière de taquinerie entre nous.
-Tiens…Et voilà l’autre.
Lucien arriva rapidement à son tour. Il avait dû me voir de loin et me suivre sans m’interpeller.
-Bon. Vous venez ? Il faudrait la faire cette vidéo.
-Vu notre talent, ça va prendre un temps fou, avais-je répliqué avec un sourire.
…et le temps est passé trop rapidement.
Je ne me souviens plus de grand-chose de ce qu’on a fait ce jour-là. Mon stress augmentait. J’angoissais intérieurement derrière mes sourires, mes rires, ce que je faisais durant cette journée. Le temps défilait, et plus il défilait, plus je m’inquiétais. Je me souviens avoir dit que je voulais aller aux toilettes, simplement pour avoir un lieu clôt où j’ai pu retravailler mon monologue. Je me souviens aussi que moi, qui ai pourtant un appétit à toute épreuve, refusa de manger quoi que ce soit avec mes deux amis lorsque nous prîmes un goûter. Le temps continuait de s’écouler, encore et encore, le temps m’agressait, me tuais, rongeait ma peau, ma chair, elle me narguait, se jouais de moi. Elle savait que je la redoutais, que j’attendais le moment où elle allait me sauter dessus pour que je commence mes aveux. Je détestais le temps, le méprisais, haïssais, exécrais, voulais qu’il ait une forme, une apparence, que je puisse le prendre dans mes bras et l’étrangler, le regarder dans les yeux pour lui montrer qu’il était, lors de ce moment, le pire ennemi de ma vie.
Mais mon arc Némésis décida de se venger de mes pensées meurtrières, car le temps décida de faire sonner brutalement le gong, me mettant devant cette situation que je craignais temps.
-Bon, dis Lucien. On rentre ? Il est tard.
-Oui…oui…
Je disais oui, mais mon corps ne bougeait pas du canapé. Les autres s’étaient levés, commençaient à prendre leurs affaires, et au bout d’une minute, la voix de Raphaël résonna dans mes oreilles :
-Bah, tu viens ?
-Raph…Il faut que je te parle. En privé.
Lucien se tourna vers nous :
-Tu veux que je t’attende en bas ?
-Si tu veux, mais ça risque de prendre un certain temps donc je te conseille de partir tout de suite. Désolé de te laisser seul pour rentrer, mais je dois parler d’un truc très important.
Il hocha la tête, pris ses affaires et traversa la porte d’entrée avant de nous lancer un « au revoir » à nous deux.
-Bon...Tu viens dans ma chambre ? On sera plus à l’aise pour en parler.
Je hochais faiblement ma tête et me leva, commençant à marcher derrière lui dans le couloir qui séparait le salon de sa chambre. Sa maison était assez large, et ce couloir était grand...Trop grand. J’avais l’impression qu’il était interminable. Je me sentais comme un condamné à mort, devant marcher vers la potence. Je marchais...Je marchais, et petit à petit toute ma préparation s’effaçait de mon cerveau, comme si c’était des objets qui tombaient progressivement de ma poche. Tout mon monologue, ma préparation, tout ce que j’avais prévu de lui dire...Tout disparaissais, quittait ma tête et me laissait complètement désemparé, alors que je trahissais des signes d’inquiétude, d’angoisse, de panique que Raphaël aurait clairement pu noter si il n’avait pas ouvert la marche.
Il s’asseyait sur sa chaise, et moi sur le bord de son lit.
-Je t’écoute.
Le silence...Un silence qui dura pendant une bonne minute. Cette minute, je l’ai passé à regarder dans le vide, à chercher dans ma tête si il ne me restait le souvenir, l’infime partie de ce que je prévoyais de lui dire...mais rien. Et Je réfléchissais à comment j’allais faire, ce que j’allais lui dire. Mais Raphaël, après un instant, me jeta un regard intrigué, et ce fut l’élément déclencheur qui me fit commencer à parler.
Et ma préparation parfaite devint une improvisation maladroite.
-Nous...nous connaissons depuis un an toi et moi. On s’entend bien...très bien et je...je n’ai jamais eu de...de meilleur ami que toi. Tu comptes beaucoup pour moi presque...autant que les amis que j’ai de...depuis...Des années déjà...enfin bref, tu comptes beaucoup et...tu...tu comptes et...
La terreur me faisait se recroqueviller. Je tentais de prendre de longues respirations pour me détendre, sans succès. Chaque mot qui sortait de ma bouche me terrorisait, car la moindre faute de ma part pouvait tout fouttre en l’air. Je ne voulais pas le perde...Je ne voulais pas le perdre, même en temps qu’ami. Mes muscles, presque tous tendus par l’effort incommensurable que je faisais pour parler, me faisaient légèrement trembler.
-Je crois que...Tu...Tu...Tu es plus pour...Pour...Moi et j’aimerais que l’on se...rapproche un peu...Qu’on soit plus....Je...
Je commençais à beggayer, ma phrase perdait de sa clarté, et soudainement, plus rien...Je restais muet. J’étais figé. Plus aucun son ne sortait de ma bouche et je voulais juste m’expliquer, parler plus...Mais j’avais beau essayer, mes tripes se resserraient et me dissuadaient de faire quoi que ce soit.
-...Je vois, as-t’il dis.
Il savait que j’étais gay. Il savait que je l’aimais bien et il pensait qu’il voyait. Mais il n’en voyait rien. Il ne voyait pas à quel point il était l’homme le plus important de ma vie. A quel point je l’aimais réellement, profondément, puissamment, infiniment, incommensurablement, éternellement. Il n’en savait rien.
Et c’était à son tour de rester silencieux. Il réfléchissait, semblait un peu perturbé. La crainte de se dire que tout aurait pu se terminer entre nous, notre amitié...Imaginer que par ma faute, plus rien n’allait être comme avant entre nous. Plus de journées ensemble, de délires, de discussions jusqu’à trois heures du matin, de confidences, ne plus le voir...Face à cette vision horrible qui survint dans ma tête, j’exclamais une phrase qui était autant destiné à lui qu’à moi :
-Je suis désolé....Je suis désolé...
Il s’approcha de moi. Je ne le regardais pas, mais je le voyais se poser à côté de moi.
-Mais ne le sois pas.
-Je suis tellement, tellement désolé. J’aurais pas du, j’aurais du juste me taire et ne rien dire, je...
-Non, non tu as bien fais de m’en parler.
-S’il te plais ne m’en veux pas...Ne sois pas énervé je t’en supplie...
-Je ne suis pas en colère. Thelonius...S’il te plaît, calme toi. C’est bon, c’est rien de grave.
Je continuais pendant un bon temps à répéter les mêmes phrases, presque en boucle. Ma gorge était noué, mes yeux étaient humide, et j’étais terrorisé par l’idée que tout était fini, et même si Raphaël me rassurait, je me disais que ça ne pouvait plus être pareil entre nous, même si il est ouvert : pourriez-vous rester exactement le même avec quelqu’un qui vous dit qu’il vous aime ?
-Ecoute moi s’il te plais...Je n’ai...Jamais réfléchis à si j’aimais les hommes ou non. Je ne pense pas, mais je ne sais pas encore, je ne me suis jamais posé la question. Je suis désolé de te faire souffrir avec ça, ce n’est pas mon intention. Tu as très bien fait de m’en parler, tu n’aurais pas pu vivre en gardant ça à jamais pour toi, vraiment...Je...Veux bien essayer de me rapprocher un petit peu de toi à l’avenir, mais je ne te promets rien. Ne t’attend pas à ce que ça réussisse, et je ne dis pas ça pour te faire du mal ou te désespérer, mais juste pour que tu ne reposes pas tous tes espoirs sur moi. Tu es quelqu’un de bien, très bien, Thel. Drôle, créatif, gentil, délicat...Je ne suis pas le seul au monde, tu trouveras quelqu’un.
-...Je ne veux pas te forcer...
-Ne t’inquiète pas, je vais faire l’effort de voir si ça « marche » entre nous, mais donne moi juste un peu le temps de me poser la question de si je suis hétéro ou bi...d’accord ?
-...d...d’accord.
Gentil...Doux...Diplomate...Pur...C’était une personne que j’admirais pour ces qualités. Il s’était débrouillé en véritable chef, ce jour-là. Il m’avait rassuré. Il me raccompagna jusqu’au métro, en me disant que même si j’avais cette affection pour lui, il voulait continuer à me parler et traîner avec moi, de passer des journées avec Lucien et moi, de rester des amis car même si il n’était pas amoureux de moi, je restais un de ses ami les plus fidèle. Pendant ce temps, je hochais de la tête, je répondais d’une voix faible, encore secoué par ce qui venait de se passer. Mais il avait été très délicat avec moi, et me fit un câlin avant que je n’aille prendre le métro, aurait aimé rester auprès de moi un peu plus longtemps. Il veilla à me parler sur skype le soir, lorsque j’étais rentré, afin de m’assurer que j’allais bien. Il s’était débrouillé comme un chef avec moi, et aujourd’hui encore, j’admire la façon avec laquelle il m’a rassuré et pris soin de moi.
Moi...J’étais vide. Je ne savais pas quoi penser. J’étais dans mes réflexions, dans mes pensées, je tentais de comprendre tout ce qui s’était passé. Etais-ce une victoire ? Etais-ce une défaite ? Il ne m’aimait pas, mais...Mais il voulait rester mon ami. Je ne savais pas quoi penser...J’étais fatigué...Je me sentais mal...J’avais envie de m’allonger, et rapidement, en passant le dîner, je rentrais dans ma chambre en désordre et tomba dans mon lit.
Dormir avait été un véritable défis.