Chapitre 8 :
Plus le temps passait, plus j’en apprenais sur Erwin et sa manière de vivre, l’organisation de son quotidien. Sa tante étant tout autant absente que ma mère (même plus), il vivait presque en autarcie dans sa maison reclus au fond d’une forêt elle-même recluse au fond de l’île. Moi qui me croyais autonome…il s’occupait constamment de la maison, la nettoyait et repeignait, lavait le sol le carrelage, tables et meubles, retirais les feuilles et autre débris et choses que le vent apportait dans la piscine. J’étais impressionné par son organisation. A chaque fois qu’un objet était sorti d’un placard, bougé, utilisé, il était immédiatement replacé à sa position initiale ou lavé, de sorte à ce que tout reste à sa place et que la vaisselle ou le désordre ne se cumule jamais. Par conséquent, il n’y avait jamais de bordel chez lui.
J’étais surpris d’entendre qu’il ne faisait que rarement les courses…Et encore plus lorsque j’ai appris qu’il chassait.
-Tu es en train de me dire que tu chasses pour manger ?
-Pas toujours. Il n’y a pas grand nombres d’animaux dans cette île. Autrement, oui. J’aime bien…Mériter de manger, si tu veux. Avoir la satisfaction du travail bien fait, si tu vois ce que je veux dire.
-Oui, je vois, juste que ce n’est vraiment pas courant, donc ça me surprend.
-Oui…Comme le corbeau, ou ma méconnaissance totale de la musique dans un monde qui ne fait qu’écouter ça, mes silences inexpliqués alors que tout le monde est bavard…Tu n’as toujours pas compris après un mois que je ne suis pas un être humain courant.
J’ouvrais à bouche pour lui répliquer quelque chose, mais aucun son n’en sortit. Il est vrai que je pouvais m’attendre à tout de sa part. Et j’arrivais pourtant à être surpris par lui. Je réussissais cependant à m’exprimer après un instant de réflexion :
-Bah, après tout, mieux vaut être quelqu’un pleins de surprise et que l’on découvre tous les jours plutôt qu’une personne banale et sans originalité, non ?
-Je ne sais pas.
-Eh bien moi je te dis que oui.
-Bon, bon. Je te crois…
-En tout cas, chasser doit te demander des tonnes de temps si tu le fais tous les jours.
-Je chasse, mais pas forcément tous les jours. Les pièges que j’ai tendus un peu partout autour de chez moi attrapent un peu de gibier parfois et m’épargne beaucoup d’effort…
(Note pour moi : ne jamais partir pisser ou se balader dans les alentours de la maison d’Erwin.)
-…De plus, trop chasser risquerait de bousculer l’ordre établis, donc il faut que je le fasse peu et avec précaution.
-Et tu ne manges que de la viande, du coup ?
Il se leva et fit signe de la tête de le suivre. Nous avions descendu pour discuter avant cela dans le salon et il me guida dans la cuisine, s’approchant du réfrigérateur. Il l’ouvrit et je vis que l’intérieur était entièrement remplit de légumes et de fruits, presque à ras-bord sur les étages les plus hauts de la réserve. Plus en bas se trouvaient d’autres aliments tels des produits laitiers, féculents…
-Oh…je vois.
-Je veille à ce qu’il soit toujours rempli, après être rentré des courses. Parfois il est dur de bien s’organiser pour en prendre beaucoup et espérer tout consommer avant que certains pourrissent.
Je refermais le réfrigérateur et regardais autour de moi.
-Et où ranges-tu la viande ?
-Je consomme toujours le gibier le jour même où je l’ai capturé. Autrement, il pourrit vite.
-Mais tu n’as pas de problèmes de restes ? Lui demandais-je, intrigué.
-Non. Je chasse toujours pour en avoir assez…Ma tante n’aime pas cela d’ailleurs. Pas que je fasse preuve de modération, je parle de chasser. Elle pense que cela est cruel. Ce n’est pas cruel. Nous allons tous être mangés, les insectes par les rongeurs, les rongeurs par les serpents, les serpents par les rapaces, les rapaces par l’homme…L’homme par les vers. On ne peut pas quitter la nature ou déjouer ses règles, peu importe si l’on a une conscience ou une âme ou une intelligence qui nous servirait d’outils pour le faire.
Je restais silencieux face à ses paroles. J’avais l’impression parfois de ne pas parler à une personne de mon âge, mais à un homme qui possède un savoir large. Comme si c’était le vieux sage calme, mystérieux et reclus de la société, vivant en ermite. Mais c’était bien un jeune homme de mon âge, ni plus ni moins.
-Tu restes manger ?
Je levais mon regard vers lui et réfléchit un peu à sa proposition.
-hum…C’est une demande ?
-Une question. Il faut bientôt que je prépare le repas, autant savoir si je prépare pour un ou deux.
Je regardais l’heure sur mon téléphone. Dix-huit heures et trente-deux minutes. Déjà ? C’est à ce moment-là que je jetais un œil dehors et me rendais compte que le soleil commençait à se coucher. Il s’agit de ces moments où le changement de temps et de luminosité est tellement lent et discret que l’on ne le réalise pas, jusqu’à ce qu’on regarde autour de soi. Les bus s’arrêtaient à 20h et en temps normal, j’aurais largement le temps de rentrer chez moi, ou au pire arriver juste à temps. Cela dis…J’avais la flemme de partir. Et rester dîner avec lui était une pensée agréable pour moi et j’avais envie de me laisser tenter.
-Le problème est que si je reste manger, je n’aurais pas le temps pour rentrer.
-Je peux t’héberger.
Je lâchais un sourire à mon ami, qui comprit ça comme une affirmation. Je lui fis un signe de ma main pour lui dire de m’attendre et sortit de la maison, mon portable toujours en main. Je composais le numéro de ma mère et posa le téléphone sur mon oreille. De longs « biiiip » résonnaient chacun leur tour pendant une vingtaine de secondes. Son répondeur, évidemment. Elle était toujours à la clinique à cette heure-là.
-Hey maman, c’est Lucas. Je suis chez un ami et je vais dormir sur place. Je rentrerais probablement demain après-midi. Tu trouveras des plats à mettre au micro-ondes dans le réfrigérateur. Je t’enverrais un message quand je serais dans le bus demain. Prend soin de toi.
Je raccrochais en remettant mon téléphone dans ma poche. JE savais qu’elle n’allait pas m’en vouloir pour cette absence imprévue. J’étais un grand garçon capable de prendre mes décisions et elle me faisait confiance pour organiser ma vie comme je l’entendais. Je retournais sur mes pas et me retrouvais dans une cuisine vide. Erwin n’était pas derrière le plan de travail ou devant la table de la salle à manger, ni dans le salon. Toutefois dans un coin de la maison, je vis une porte ouverte menant à un escalier que je n’avais pas encore vu. Il devait avoir descendu ici. Mais tandis que je descendais l’escalier, mes narines captaient une odeur horrible, ou plutôt forte…envahissante. Elle augmentait au fur et à mesure et en finissant sur la dernière marche, l’odeur fut tellement forte que je commençais à avoir la nausée.
Erwin était de dos et se tenait derrière une table où était allongé le cadavre d’un lapin, le ventre ouvert. Il tenait un couteau dans la main qu’il posa sur un coin et commença à fouiller de ses mains le corps de l’animal en retirant les boyaux. Je le regardais avec des yeux grands ouvert, immobile. Il me remarqua et en se retournant, me jeta un air inquiet.
-Qu’est-ce qu’il y a ? Me demanda-t-il.
-C’est…Tu
-Récupère la viande du lapin que j’ai chassé ce matin. Il va falloir que l’on prenne de la viande pour le dîner.
Je n’arrivais pas à retirer mon regard du lapin, presque choqué, et commença à marcher à reculons. Ma main tremblante se posa sur la rambarde de l’escalier et je m’empressais de me retourner et remonter les escaliers avec rapidité. J’étais sur le point de vomir, je n’allais pas pouvoir tenir. Mais une fois en haut, je prenais une grande inspiration d’air frais et pur. Encore un peu désorienté, je trouvais la chaise la plus porche et m’assis dessus. Je restais là une bonne minute avant que je n’entende la voix d’Erwin derrière moi.
-Quelque chose ne va pas ?
Je tournais ma tête vers lui. Je ne l’avais pas entendu venir, tellement il a tendance à marcher silen-cieusement et précautionneusement. Mes yeux se posèrent sur ses mains tâchés de sang.
-Juste voir le…l’animal, et puis l’odeur…Je ne me suis pas sentis bien. J’ai du mal avec le sang.
Pourtant j’y étais habitué. Ma mère était vétérinaire et depuis tout petit, je pouvais passer à la cli-nique où elle travaillait. J’ai pu régulièrement assister à des examens médicaux, des prises de sang, même des opérations. Ce n’était pas la première fois que je voyais de l’hémoglobine en dehors d’un corps, mais cette fois-ci il y en avait juste tellement…C’était répandu de manière grotesque et provenais d’un cadavre, une forme froide, sans vie…
J’ai attendu une bonne heure à lire un livre que j’avais emporté avec moi dans mon sac. Assis sage-ment sur une chaise dans le salon, je tentais de me concentrer le plus possible sur les pages de mon roman, surtout lorsque j’entendais Erwin monter ou descendre les escaliers de la cave. Je n’avais pas envie de le voir porter des boyaux à la poêle ou je ne sais quoi d’autre. Mais alors que je plongeais enfin dans mon histoire au point où j’en oubliais le monde autour de moi, je me sentais soudainement observé. Je tournais le regard et vit mon cher ami, immobile, à l’entrée de la cuisine.
-C’est prêt.
-Tu es resté combien de temps ici à attendre que je me retourne ?
-Je ne voulais pas te déranger dans ta lecture.
-Tu sais que ça ne répond pas à la question ? Lançais-je avec un sourire.
-Je vais manger en tout cas. Libre à toi de me rejoindre ou non.
Je rigolais un coup, Erwin me regardant avec les sourcils froncés. Il avait certainement dû se sentir vexé d’une manière ou d’une autre, mais cela ne semblait pas dramatique. Je me levais et le suivait dans la salle à manger, posant mon derrière sur l’une des chaises. Mon ami m’apporta rapidement un petit plat de viande saucé, accompagné de carottes coupées et de pomme de terre. A la base, j’aurais trouvé ce repas apetissant, mais quelque chose me dérangeait dans le spectacle. Je pense que c’était le fait que je savais d’où provenait la viande. Erwin a dû d’ailleurs s’en rendre compte, vu sa réaction :
-Tu n’es pas obligé de manger, tu sais.
-Je sais, merci. Et puis, je sais que toute viande provient d’un animal, juste que quand tu vois direc-tement d’où ça provient ça te fais…bizarre. Mais ne t’en fais pas, laisse-moi un instant.
Une minute dans le silence, à regarder mon plat me suffirent pour que j’ose couper la viande et en manger un bout. Je relevais la tête, voyant ses yeux me fixer. Je voyais bien qu’il n’avait pas l’habitude de cuisiner pour d’autres personnes.
-C’est très bon. Merci.
Il hocha légèrement la tête en signe de remerciement, un petit sourire sur le coin de ses lèvres. Il était adorable lorsqu’il laissait paraitre quelque émotion par-ci et par-là. Comme si il considérait mon remerciement comme une autorisation pour manger lui-même, il se mit à prendre ses couverts et me rejoindre dans ce dîner.