Avis avant lecture : Je parle dans mon texte, de personnes -philes et de -philie, c'est un choix sémantique, mais remplacez par -sexuels et -sexualité si vous préférez.
Je ne sais pas si c'est parce qu'il n'en est jamais question ou parce que je suis un des seuls que ça travaille, que j'éprouve là le besoin d'en parler, d'y réfléchir à haute voix ou plutôt à l'écrit, mais peu importe au fond, les causes et la forme ne rattraperont pas le fait.
Ce dont je voudrais parler c'est de la solitude qu'on peut connaître lorsqu'on est quelqu'un qui aime les personnes de même sexe. Loin de moi l'idée d'asséner des vérités absolues, ou de seulement parler de mon petit cas personnel, j'ai plutôt envie de poser avec incertitude une opinion, de déblayer des pistes, de proposer un autre angle de vue, et de le partager avec les lecteurs et lectrices qui s'attarderaient sur mon billet.
Je crois en fait que ni la société, ni les proches des personnes homophiles ne mesurent l'étendue de cette solitude, et je crois aussi qu'il s'agit d'un sujet quasi tabou chez les personnes homophiles ; on en parle peu, et lorsque le thème est touché du doigt, c'est sous un angle bien précis et délimité, c'est systématiquement abordé à travers les jumelles de la lutte anti-homophobie.
On parle souvent, par exemple, du climat homophobe qui entoure les personnes homophiles, on parle aussi souvent du taux de suicide des jeunes homophiles qui serait la conséquence d'un climat homophobe. On en parle sur un ton accusateur, dénonciateur, indigné, et avec raison je pense, mais sans jamais s'égarer à parler de la vie des homophiles, en particulier des plus jeunes, ni qu'eux-mêmes en parlent, sans jamais s'attacher à y porter un regard plus global, plus analytique.
Et bien, j'aimerais vous dire ici que, malgré la richesse, à mon sens, qu'est la découverte et l'acceptation de l'homophilie pour soi-même, pour une société, et bien, malgré cela, j'aimerais dire que l'homophilie telle que je la vis et telle, qu'à mon avis, elle est vécue par beaucoup d'homophiles et surtout les plus jeunes, c'est l'enfer, sans mauvais jeu de mots.
Au-delà d'être un simple parcours du combattant, car les mœurs d'une société n'arrangent pas toujours les choses, c'est une solitude en puissance. Et je ne dis pas ça avec une arrière-pensée tendant à installer l'idée que les attirances sont un choix, non pas du tout. Je pense bien au contraire que les attirances s'imposent d'elles-mêmes, et c'est en ça justement que les attirances pour une personne de même sexe relèvent, à mon sens, pour partie du fardeau ou du défi.
Je crois, en effet, qu'on ne dit pas assez, qu'on ne parle pas assez, du quotidien des personnes homophiles, en particulier des plus jeunes. Car ça change quoi au fond, d'être une personne homophile ? En apparence, a priori rien, ce n'est pas comme une couleur de peau ou de cheveux, il n'est pas écrit "homophile" sur leur front, contrairement à ce que certains peuvent parfois penser.
Et pourtant, dans le fond, ça change beaucoup de choses. Bien sûr ça met, les personnes homophobes qui se découvrent homophiles, et bien souvent leur entourage dans la foulée, face à certaines réalités, mais ce n'est pas de ça dont je veux parler. Je veux parler de ce que ça change fondamentalement.
En effet, à mon sens, se découvrir, s'accepter homophile, c'est d'abord et surtout se prendre de plein fouet l'appartenance à une minorité, et ça fait déjà une distinction de taille. Attention, je ne souhaite pas dire que les personnes homophiles sont un groupe homogène mais elles ont au moins un point commun logique ; leurs attirances pour une personne de même sexe. Et je ne souhaite pas dire non plus que de découvrir appartenir à une minorité est un problème pour tout le monde, mais cela pose déjà un premier obstacle.
De plus ce n'est pas n'importe quelle minorité dont il est question. Car au-delà du simple fait que comme beaucoup de minorités, la minorité homophile est le théâtre de diverses discriminations, mais bien avant cela d'ignorances, la minorité homophile est disséminée, territorialement parlant, et c'est une spécificité.
Car contrairement à d'autres minorités auxquelles on se réfère parfois pour effectuer des comparaisons, et bien une personne homophile ne naît pas dans un pays homophile, ni dans une famille homophile (bien que l'évolution des mœurs fait que cela est déjà plus ou moins rendu possible, mais ça ne change rien au fait que la plupart des personnes homophiles ne naitront pas dans une famille homophile), les personnes homophiles naissent donc (pour l'extrême majorité) dans un milieu non homophile.
Ça change quoi d'être une minorité disséminée ? Ça veut dire déjà, pas de refuges possibles, ou très peu, et pas de repères proches non plus, ou encore une fois très peu. Ça veut aussi dire beaucoup moins de choix dans ses repères, et les repères éventuels qu'on a sous la main, ne sont pas forcément ceux qu'on souhaiterait avoir puisqu'il y en a peu et qu'en plus ils sont disséminés. Manque de chance, la minorité homophile est aussi diversifiée que sa sœur la majorité hétérophile, mais contrairement à elle, ça suppose d'apprendre à être davantage autonome, voire solitaire, suite à cette dissémination.
Et d'ailleurs elle ne me semble pas seulement diversifiée cette minorité homophile, elle est même clivée, principalement entre ceux qui adhèrent aux mœurs de la société et qui souhaitent y intégrer une composante homophile, et ceux qui n'y adhèrent pas et qui souhaitent en plus d'intégrer la composante strictement homophile, porter d'autres thèmes en liaison. Mais bref, retenons la dissémination.
La dissémination n'est pas la seule particularité de la minorité homophile, l'autre spécificité de la minorité homophile qui la distingue par rapport à d'autres minorités, c'est qu'elle est condamnée à l'endogamie forcée. C'est-à-dire qu'en plus d'être une minorité, qu'en plus d'être une minorité disséminée, les personnes qui la composent ne peuvent, pour la plupart (car je veux bien croire qu'il existe des grands solitaires), s'épanouir relationnellement qu'entre-eux.
Attention, je ne dis pas que les homophiles sont une secte qui restent entre eux pour pouvoir être épanouis, ils se marient très bien dans la majorité opposée puisqu'ils sont, à mon sens, aussi divers qu'eux. Mais ce que je veux dire en parlant d'endogamie dans l'épanouissement relationnel, c'est qu'au moins sur le plan amoureux et/ou sexuel, la minorité homophile puise en elle-même, elle ne peut pas aller chercher ailleurs et c'est une de ses spécificités par rapport aux types de minorités auxquelles elle est parfois comparée.
Ça parait très logique comme ça, mais ça mérite d'être souligné, car c'est ça, à mon sens, le drame homophile ; le cumul de fardeaux. C'est d'appartenir à une minorité, disséminée, et endogame.
Ceci n'est pas sans conséquences sur les personnes homophiles. Quand on connait le désir d'épanouissement relationnel des personnes qui composent une société, et plus restrictivement le désir de fonder une famille, d'avoir des enfants, un désir qui traverse toutes les couches, toute la diversité de la société, et les personnes homophiles n'y échappent évidemment pas, et bien, quand on est une personne homophile, on tombe, je crois, de haut.
On tombe de haut parce que toutes ces possibilités, toutes ces aspirations, sont soudainement cruellement limitées. D'abord cruellement limitées sur le plan relationnel du fait que les personnes homophiles sont minoritaires, disséminées et endogames, même si ce n'est pas la première chose à laquelle on peut penser.
Ensuite cruellement limitées biologiquement pour ceux qui sont animés d'un désir d'enfant (même si les avancées sociétales tendent à combler cet obstacle).
Et enfin, cruellement limitées, mais davantage sur la forme cette fois, puisque l'homophilie, et particulièrement sa publicité (au sens de perçue devant un public plus ou moins nombreux), même discrète, sont davantage vues d'un mauvais œil.
Alors évidemment, la famille homophile est aujourd'hui un sujet qui captive la société, l'homophobie également, mais une fois encore, le sujet est abordé sur le ton de l'accusation, sur le ton de l'indignation, sur le ton de la revendication, et encore une fois, je pense, globalement avec raison. Mais une fois de plus, on ne fait encore qu'effleurer le sujet principal, le sujet fédérateur, qui me semble être la solitude homophile. Alors même que la solitude d'autres personnes, comme celle des personnes âgées, est prise en considération.
Toutes ces revendications (lutte contre l'homophobie et pour les droits LGBT) sont des facilitations pour les personnes homophiles à mieux vivre, mais elles ne changent directement pas la donne principale, la donne-mère ; l'homophilie est minoritaire, disséminée et endogame, source de solitude. Mais je ne dis pas ça pour qu'on s'apitoie sur le sort des personnes homophiles, ni pour être dramatique, je souhaite juste émettre des réflexions.
Sur le caractère minoritaire et endogame de l'homophilie, je ne veux pas m'étendre davantage, ça ne me semble pas prêt de changer. En revanche sur la dissémination, il y a des évolutions, avec l'essor d'internet.
Internet est je pense, le plus bel outil des personnes homophiles, il n'est pas seulement un outil de mise en contact et de communication, il agit comme un révélateur de leur dissémination. Pour certains, ce sera la certitude, la prise de conscience d'être bel et bien seul là où on vit, pour d'autres, là où la population est nombreuse, là où les moyens de locomotion sont développés, là où justement beaucoup d'homophiles migrent, ce sera la certitude que l'épanouissement relationnel est possible. Mais tous, en sortiront mieux armés pour affronter la dissémination.
Internet est le réseau social inespéré des personnes homophiles dont elles ne disposent pas naturellement contrairement à d'autres minorités. Car sans internet, ou au moins parallèlement à celui-ci, ce sont les faibles lieux de rencontre homophiles réservés à une minorité citadine qui participent à la rencontre, des lieux de rencontre qu'une partie de la population homophile tient en horreur, c'est aussi le faible bouche à oreille qui opère, une méthode qu'une partie de la population homophile exècre.
Tout ceci pour expliquer à quel point la solitude homophile issue du trio ravageur minorité-dissémination-endogamie, est un fardeau. Et je voudrais donc revenir sur ce dont j'ai brièvement parlé ; le taux de suicide des jeunes homophiles. A vrai dire, je ne crois pas que, comme on l'entend beaucoup, celui-ci soit l'unique conséquence d'un climat homophobe, évidemment que cela joue beaucoup, mais je pense surtout qu'il est lié à la solitude inhérente à l'homophilie dans notre société.
Et justement, je m'interroge sur les réflexions associatives, sur les réflexions de nos représentants politiques, sur les réflexions des personnes homophiles elles-mêmes, au sujet de la solitude homophile. Et je crois malheureusement que ces réflexions sont quasi nulles (dans le sens absentes hun), et c'est sur cela que je voudrais interpeller mon potentiel public.
Alors je m'interroge sur ce point, pourquoi donc cette carence de réflexion ? Pourquoi même ceux qui devraient le voir, notamment les associations homophiles luttant contre l'homophobie et pour les droits LGBT, ne le voient pas ? Veulent-ils vraiment le voir ?
Pourquoi faire croire, ou du moins laisser croire, que les personnes homophiles iraient aussi bien que les personnes hétérophiles si elles n'étaient pas victimes d'homophobie et auraient tous leurs droits dits "LGBT", au lieu de dire qu'elles iraient seulement mieux et certainement pas aussi bien ?
Ne serait-ce pas justement sur ce silence que jouent les discours homophobes, notamment religieux en répandant l'idée que, puisque l'homophilie est source pour partie de malheurs, il ne faut ne pas l'encourager, voire il vaut mieux tenter de la guérir et surtout faire croire que ça se guérit ?
Aurait-on peur de reconnaître que l'homophilie c'est la solitude, parce que ça fait mal de reconnaître qu'une population, que ses proches, puissent être fragiles, parce que ça fait mal de se reconnaitre soi-même fragile ?
Mais en abandonnant le constat de la solitude homophile aux mains d'homophobes, en abandonnant donc la possibilité de proposer des solutions, des réponses, à cette solitude, ne serait-ce pas là la plus grave concession qui leur soit accordée ?
Je n'ai personnellement pas peur de dire que l'homophilie est source de solitude dans notre société. Je n'ai pas peur de dire à ceux qui pensent que l'homophilie est une mode amusante, qu'ils n'ont rien saisi à la douleur homophile. Je n'ai pas peur de dire non plus que l'homophilie n'est pas un drame, qu'on s'en accommode très bien, qu'elle est aussi une source de découvertes et de richesses, que chez certains, elle constitue même une force, voire une fierté.
Mais je n'ai pas peur de dire non plus que je ne souhaite à personne d'être homophile dans la société qui est la nôtre, je ne blâme pas non plus certains bis qui se réfugient du côté de la majorité, ni certains homophiles qui mènent une double-vie. Je les comprends.
Mais je sais aussi pertinemment que l'attirance pour un sexe ou pour les deux, ne relève pas du choix, mais s'impose d'elle-même, et c'est justement pour ça que je suis capable de dire que face à la solitude homophile, la société a le devoir de lutter non pas contre l'homophilie comme certains homophobes s'y consacrent, non pas seulement contre l'homophobie ou pour des droits, comme certaines associations s'y consacrent, mais aussi et surtout contre la solitude des homophiles.
Bref, j'aime les personnes de même sexe et je me sens bien seul, et je ne crois pas être le seul dans cette situation, mais je t'interdis de me prendre en pitié, au moins par simple souci de préservation de ma dignité.
Le 4 mai 2012, à Düsseldorf (Allemagne)